Nous sommes en pleine lecture de Suite française d'Irène Némirovsky, le fameux manuscrit sauvé pendant la guerre par Denise Epstein, sa fille alors très jeune, qui a promené ce roman à travers toute la France dans une valise. Denise Epstein et sa soeur l'écrivain Elisabeth Gille n'ont trouvé le courage de lire ce texte que peu de temps avant la mort de cette dernière.
Suite française devait être une série de cinq romans autour de la Seconde Guerre Mondiale. Les trois derniers ne furent jamais écrits. Les deux premiers furent publiés en 2004 sous le titre de Suite française et Irène Némirovsky reçut le Renaudot à titre posthume.
Nous avons bientôt fini Tempête en juin, le récit de l'exode qui se focalise sur une série de personnages à tour de rôle.
Les Péricand, une famille de la grande bourgeoisie, tente de se rendre à Nîmes (et le portrait de Mme Péricand n'est pas piqué des hannetons, surtout lorsqu'elle oublie son beau-père en route!) Philippe Péricand, l'aîné des enfants, est prêtre. Il accompagne un groupe d'orphelins (le récit de sa fin tragique est un moment fort du roman.) Son frère, Hubert, s'échappe et veut aller se battre contre les Allemands.
Maurice et Jeanne Michaud doivent rejoindre leur chef qui a fui à Tours avec une danseuse avec qui il entretient une liaison compliquée. Leur fils Jean-Marie a été blessé, ce qu'ils ignorent, et ils tremblent d'apprendre une mauvaise nouvelle. Jean-Marie est soigné par des paysans à Bussy.
Gabriel Corte, un écrivain très connu, part avec sa maîtresse et se retrouve accueilli à bras ouverts à Vichy.
En panne d'essence, Charles Langelet vole la voiture d'un jeune couple qui lui faisait confiance et retourne à Paris.
Seuls les Michaud sortent indemnes de ces portraits sans concession.
Malgré le style un peu désuet, je trouve ce roman absolument formidable. Les personnages sont très bien réussis. On voit déjà se profiler le futur de Corte dans la collaboration. Charlotte Pericand, qui se veut une bonne catholique, est d'un égoïsme assez monstrueux. Sa façon de jouer un rôle est sûrement assez typique des "Deux Cents Familles" d'avant guerre.
Irène Némirosky fait à la fois oeuvre de témoignage historique et de littérature. Elle montre, démontre, et fait vivre. Une réussite.
Le fait que l'auteur soit morte en 1942 à Auschwitz rajoute sûrement un élément de tragédie à ce récit, mais Suite française serait un bon roman de toute façon.
A noter que sa fille, Elizabeth Gille, avait publié en 1996 un roman inspiré de son enfance dans les années de la guerre, Un paysage de cendre, récit remarquable, pressenti pour le Prix Goncourt, le Renaudot, le Médicis et le Fémina (il obtiendra finalement le Grand Prix des Lectrices d'Elle.) A travers le regard du personnage principal, une toute petite fille, Elisabeth Gille montrait la cruauté de la France pendant l'Occupation. Elle avait aussi publié Le Mirador, biographie imaginaire de sa mère. Je ne l'ai pas lu, donc je ne m'étendrai pas sur le sujet, même si la publication de ce texte a plus ou moins correspondu à la décision de Denise et Elisabeth d'ouvrir le manuscrit de leur mère.