Un très beau roman, à la fois profond, intelligent et plein d'émotion, sur la fuite de Zweig et de sa seconde femme Lotte d'Autriche, dès 1934. Zweig était un visionnaire et savait que l'avenir ne lui réservait rien de bon dans son pays après l'Anschluss. Mais, en Angleterre comme aux Etats-Unis où les Zweig séjournèrent, ils étaient avant tout non des juifs à protéger, mais des Autrichiens, donc des ennemis potentiels à surveiller de près.
Le roman commence quand Stefan et Lotte échouent au Brésil où le couple mettra fin à ses jours le 22 février 1942, sombre écho de la biographie que Zweig avait consacrée à Heinrich von Kleist, écrivain disparu dans des circonstances similaires, lui aussi aux côtés de sa seconde épouse.
Laurent Seksik fait à la fois oeuvre de romancier en redonnant vie à des figures du passé, d'historien et de passeur. En effet, il donne envie de relire Zweig, mais aussi ses amis Jules Romains par exemple. Lorsqu'un roman vous fournit une liste de lecture de 10 pages, je pense qu'il a atteint un but formidable.
Par ailleurs, Seksik fait un sort au mythe qui voudrait que Zweig ait refusé de se battre, ait baissé les bras, soit allé vers la mort comme un agneau vers l'abattoir au lieu de se battre. Ce double suicide apparaît ici à la fois comme un acte d'amour et comme une révolte. Comme une façon d'attirer l'attention sur la barbarie nazie, sur la condition juive et sur un monde occidental pas beaucoup plus accueillant envers les réfugiés dont la vie était vraiment menacée chez eux. Pas une cinquième colonne, juste des hommes et des femmes qui voulaient vivre en paix. Zweig qui traînait partout une partie de sa bibliothèque ainsi que les notes de son travail sur Balzac représentait-il vraiment un danger aux yeux des alliés?
J'ai adoré ce roman, puis je suis tombée, dans la revue Le Grand Soir, sur ce texte de Bernard Gensane qui siégea autrefois à mon jury de thèse. Je me suis alors dit que je devais faire un lien vers cette page car Gensane rend un hommage tout aussi intelligent à Zweig que peut l'être le roman de Seksik.